La Journée mondiale de l'océan a eu lieu ce lundi 8 juin, l'opportunité de rappeler le rôle clé de l'océan : source d'oxygènes, de nourriture et régulateur du climat.
Parmi les espèces qui peuplent l'océan et qui interviennent dans l'équilibre de la planète, il y a le phytoplancton. Ce dernier forme l'ensemble des algues microscopiques présentes dans les eaux de surface et qui se déplace au gré des courants. Invisible individuellement à l’œil mais discernable par les satellites lorsqu’il est en quantité suffisante pour former des étendues colorées (Figure 1), le phytoplancton constitue une biomasse plus importante que les forêts et joue un rôle crucial dans la chaîne alimentaire mais aussi dans la production de l’O2 et le recyclage du CO2 au niveau de l’océan. Cependant, en trop grande quantité, les phytoplanctons peuvent être un risque pour l'Homme et ses activités. Zoom en image sur ces organismes marins.
Figure 1. Bloom de phytoplancton dans la mer de la Baltique. La chlorophylle utilisée par les phytoplanctons pour la photosynthèse colore les eaux de l'océan, un phénomène visible depuis l'espace. Ces blooms sont la conséquence d'une multiplication des phytoplanctons due à un enrichissement en nutriments. Cette image a été prise par le satellite Sentinel-2 du programme Copernicus de l'Agence spatiale européenne (ESA). (© contains modified Copernicus Sentinel data (2019), processed by ESA).
Les blooms sont le résultat de la multiplication des phytoplanctons dans l'océan ou la mer. Ils se forment naturellement dans les zones riches en nutriments, principalement en zones côtières, où les nutriments venant de l'agriculture (via le rejet de phosphates et de nitrates présents dans les engrais) se déversent dans l'océan. Quand les phytoplanctons meurent, ils plongent au fond de l'océan où ils se décomposent par les bactéries. En présence d'une large population de phytoplanctons en décomposition, ce processus, qui requiert de l'oxygène, peut conduire à un appauvrissement de l'oxygène localement où les espèces marines ne peuvent survivre dans ces conditions extrêmes. C'est ce que l'on nomme l'eutrophisation. Ce dernier peut être néfaste pour l'Homme mais aussi pour ses activités économiques liés à l'océan comme le tourisme et la pêche. Détecter ces blooms devient donc un enjeu majeur sanitaire, économique et de sécurité alimentaire.
Pour cela, les satellites en orbite depuis l'espace peuvent être de bon allier. En effet, certaines caméras, appelées imageurs optiques, sont capables de mesurer la lumière solaire réfléchie (i.e. réflectivité) par la surface et notamment de l'océan. Les phytoplanctons utilisant la chlorophylle pour la photosynthèse, cette dernière est détectable indirectement par ces caméras. Le principe est assez simple. La chlorophylle nous apparaît vert dans la gamme du visible (à oeil nu) car elle renvoie essentiellement la lumière solaire dans le vert (maximum de réflectivité dans le vert autour de 550 nanomètres (nm)) (cf. Figure 1) et absorbe principalement la lumière (ou énergie) solaire dans le bleu et le rouge. En effet, lorsque l'on mesure la réflectivité en fonction de la longueur d'onde (ou couleur), deux bandes d'absorption (ou baisses de la réflectivité), une dans le bleu (env. 450 nm) et l'autre dans le rouge (660 nm)) sont observables ayant pour origine l'absorption de l'énergie solaire de la chlorophylle nécessaire pour la photosynthèse. En couplant avec des modèles qui simulent l'interaction de la lumière solaire avec des milieux tels que l'océan, la concentration de la chlorophylle dans la colonne d'eau marine peut être dérivée permettant d'une part d'estimer la bonne santé de l'écosystème marin et de la qualité de l'eau et d'autre part d'évaluer les risques possibles en cas de leur présence excessive sur les activités économiques.
Parmi les missions spatiales en cours, il y a les satellites "Sentinel" dédiées à l'observation de la Terre. Ils forment le volet spatial du programme Copernicus de l'Union européenne. Copernicus est un programme de surveillance de la Terre et ses écosystèmes et de prévention pour préparer et protéger les européennes aux futures crises et catastrophes naturelles ou d’origine anthropique. Il offre des services d’information basés sur l’observation de la Terre par satellites et les données terrain. Les données sont accès libre et gratuite et disponible via la plateforme : Copernicus Open Access Hub.
Parmi les instruments à bord des satellites "Sentinel", certains sont capables de cartographier et de quantifier la chlorophylle. C'est le cas des satellites Sentinel-2 et Sentinel-3 qui possèdent chacun un imageur optique, respectivement MultiSpectral Instrument (MSI) avec une résolution spatiale entre 10 et 60 mètres [2] et Ocean and Land Colour Instrument (OLCI) avec une résolution spatiale de 300 mètres [3]. Ces deux instruments sont complémentaires. En effet, l'instrument OLCI est capable d'établir des cartes globales de la chlorophylle, utiles pour les scientifiques pour évaluer la biomasse dans sa globalité et sa répartition à travers le globe au cours du temps mais aussi pour évaluer les courants marins (Figure 2). Tandis que l'instrument MSI grâce à sa haute résolution spatiale permet de détecter plus localement l'eutrophisation au niveau des eaux côtières (Figure 1).
Figure 2. Carte de concentration (en mg/m3) de la chlorophylle, proxy de la présence de phytoplanctons permettant d'étudier la répartition de ces derniers à l'échelle de la planète. (© EUMETSAT, disponible ici).
Établir quotidiennement les cartes de concentrations des phytoplanctons permettrait de prévenir les acteurs des secteurs de la pêche et du tourisme des risques possibles grâce à la mise en place d'un système d'alerte qui d'une part permettrait d'enclencher la fermeture des zones de pêches ou de baignades en cas de risque élevée et d'autre part de mettre en place des plans d'intervention pour empêcher la propagation des algues toxiques.
C'est ce que i-Sea, une entreprise française qui développe des services innovants d'observation et de gestion des zones littorales a réussi à faire avec ses partenaires en développant une application dédiée à la détection et à la prédiction des blooms de phytoplanctons dans la mer baltique, utilisant les données du satellite Sentinel-3. Trois heures seulement après que les images Sentinel-3 sont rendues disponibles, le niveau du risque de la prolifération des blooms dans la région est accessibles via la plateforme web et l'application smartphone nommée Hab Risk. Cette application est capable d'évaluer le risque quasi en temps réel permettant ainsi de soutenir les secteurs de la pêche et du tourisme dans leurs activités.
Figure 3. Capture de la plateforme web Hab Risk montrant le niveau du risque des blooms de phytoplanctons dans la mer baltique à la date du 09 juin 2020.
À propos de l'auteur :
Jennifer Fernando est consultante en stratégie environnementale. Elle est docteure en sciences de la Terre et diplômée de Sciences Po en politique environnementale.
Contact : jfernando.consulting@gmail.com
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