Du 3 au 11 septembre 2021 a lieu, à Marseille, le Congrès mondial de la Nature de l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) qui réunit les décideurs ainsi que les acteurs de la société civile (chercheurs, entrepreneurs, organisations non gouvernementales, etc.) afin d'une part, d'établir et influer sur les priorités d'action et l'agenda mondial pour la conservation de la Nature notamment pour le cadre post-2020 et d'autre part, d'identifier les questions importantes en matière de conservation et de lancer de nouvelles initiatives. À cette occasion, zoom sur les zones humides et leurs atouts pour les territoires dans un contexte de changements globaux et sur le rôle clé des satellites pour les protéger et préserver.
1. Les zones humides en France et dans le monde
D'après la Convention de Ramsar[1], traité international qui vise à conserver et utiliser de façon rationnelle les zones humides, ces dernières sont définies comme étant « des étendues de marais, de fagnes, de tourbières ou d’eaux naturelles ou artificielles, permanentes ou temporaires, où l’eau est stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée, y compris des étendues d’eau marine dont la profondeur à marée basse n’excède pas six mètres ». Ce sont en effet des espaces de transition entre la terre et l'eau, qui incluent tourbières, marais, lacs, rivières, mais aussi des zones marines et côtières tels que les récifs coralliens, les lagons et mangroves.
Les zones humides représentent 6% de la surface de la Terre et ont la particularité de présenter une richesse et une diversité d'espèces et d'écosystèmes[2]. À ce jour, près de 2430 zones humides sont inscrites à la Liste Ramsar représentant près de 255 millions d’hectares[3] (Figure 1).
Figure 1 : Localisation des 2430 zones humides enregistrées dans la Liste Ramsar au 01 septembre 2021 (© Ramsar Sites Informations Service, Site internet).
En France (métropole et Outre-mer), on compte 50 zones humides qui représentent 3,6 millions d'hectares[4] (Figure 2). La plus grande est celle de la réserve naturelle de la Carmargue (85 000 ha).
Figure 2 : Locations des 50 sites Ramsar en France (© MTE, Ramsar, Site internet).
2. Un haut lieu de la biodiversité jouant un rôle majeur pour le cycle des eaux continentales
Quand on parle de "biodiversité", on ne parle pas unique d'espèces (animales et végétales), on parle également d'écosystèmes et de gènes. La biodiversité recouvre ainsi l'ensemble des milieux naturels, les êtres vivants et toutes les interactions que les organismes vivants ont entre eux et avec le milieu. Parmi les milieux naturels, porteurs de biodiversité, il y a les zones humides qui sont un parfait exemple d'habitats naturels qui regroupent les 3 caractéristiques de la biodiversité (espèces, écosystèmes, diversité génétique) faisant ainsi de ces lieux des sanctuaires de la biodiversité. En effet, entre terre et eau, les zones humides sont des réservoirs de vie, accueillant un grand nombre d'espèces végétales et animales, tels que les oiseaux, les amphibiens, les poissons, les insectes, les mammifères, etc, qui en dépendent pour survivre : dans le monde, ce sont plus de 40% de toutes les espèces et en France, ce sont environ 50% des espèces d'oiseaux et 30% des espèces végétales remarquables qui en dépendent[5].
Les zones humides jouent également un rôle essentiel dans le stockage et la régulation des eaux à l'échelle du continent de la source à la mer. En effet, elles régulent la qualité de l'eau en filtrant l'eau qui alimente les aquifères, sources importantes en eau potable pour la consommation et l'agriculture, permettant d'éviter le traitement de l'eau en eau potable et ainsi de faire des économies. Ces milieux favorisent également le stockage de l'eau de pluie dans les nappes phréatiques et soutiennent le débit des cours d'eau lors de périodes sèches.
3. Une solution pour lutter contre le réchauffement globale et s'adapter aux conséquences du dérèglement climatique à l'échelle locale
Les zones humides ont un rôle clé dans la régulation du climat mondial. En effet, via les éléments qui composent ces milieux tels que la tourbe, l'humus, le bois, les milieux humides captent et piègent le carbone atmosphérique dans le sol. Parmi les zones humides, les tourbières, espaces saturés d'eau et formées de matières végétales décomposées qui se sont accumulées avec le temps, stockent deux fois plus de carbone que l'ensemble des forêts du globe alors qu'elles ne représentent que 3% de la surface de la Terre[6]. Les tourbières sont ainsi d'importants puits de carbone (30% du carbone est stocké dans les tourbières) à préserver.
Outre son rôle clé dans la captation du carbone atmosphérique, les zones humides apportent divers co-bénéfices en faveur de l'adaptation de l'Homme et des espèces animales et végétales au dérèglement climatique. Sur le climat local, les milieux humides influencent localement les précipitations et la température atmosphérique. Sur le continent, elles protègent les rives et rivages de l'érosion, permettent de réduire l'intensité des crues et ainsi de limiter les dommages liés aux inondations, alimentent progressivement les nappes phréatiques lors de fortes pluies ou encore régulent le débit des cours d'eau lors des périodes de sécheresse. Lors de vagues de chaleur, ces milieux constituent des îlots de fraîcheur pour les êtres vivants. En effet, en moyenne, la présence de zones humides permet d'abaisser la température entre 0,5 et 3°C[7]. Sur le littoral, ces environnements permettent de limiter le recul du trait de côte et ainsi l'avancée de la mer sur les terres, et lors de grandes tempêtes, jouent le rôle de tampon en résorbant la force des vents et des vagues réduisant ainsi les dommages sur le littoral et la submersion marine (ex. les mangroves, voir le post dédié ici).
4. Des bénéfices à la fois environnemental et économique pour les territoires...
Les zones humides sont ainsi des lieux sources de vie indispensables à l'Homme, car elles fournissent divers services : stocks en d'eau douce, prévention des risques (sécheresse, inondation), production de ressources biologiques, réservoirs alimentaires, valeurs culturelles, scientifiques et patrimoniales, captation du carbone, etc.
Elles jouent un rôle crucial dans l'économie locale d'un territoire à travers ses terres et eaux fertiles utilisées pour l'agriculture et la pêche, ses eaux pures pour différents usages tels que pour l'usage domestique, industriel et agricole (via l'irrigation) et ses paysages pour le tourisme. Selon Ramsar, les zones humides fournissent 47 mille milliards d'US dollar de services essentiels chaque année, et 1 milliard de personnes y dépendent pour vivre[8].
5. ... mais un écosystème fragilisé par l'Homme
Selon un rapport publié par Ramsar en 2018, la perte des zones humides est actuellement trois fois plus rapide, en termes de pourcentage, que la perte des forêts[6]. En 2019, lors de la sortie de son rapport, la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) ajoutait que près de 87% des zones humides présentes au 18ème siècle avaient été perdues en 2000[9] et que les pertes récentes sont encore plus rapides avec 0,8% de perte par an entre 1970 et 2008[10]. En France, 2/3 de la superficie des zones humides françaises a été détruite en un siècle, une perte de près de 2,5 millions d'hectares soit trois fois la superficie de la Corse[11].
D'après ce même rapport, l'Homme est désigné comme étant le principal responsable du déclin des écosystèmes naturels qu'ils soient terrestres, marins ou d'eau douce, les milieux humides inclus. Leur dégradation ou leur perte ont pour origine les changements d'usage des terres et de la mer, l'exploitation directe de certains organismes, le dérèglement climatique, la pollution et les espèces exotiques envahissantes.
Alors que les zones humides fournissent directement ou indirectement des services essentiels critiques pour l'Homme et plus largement pour les êtres vivants, paradoxalement, elles sont encore trop peu prises en compte dans les plans nationaux alors qu'ils constituent des écosystèmes clés pour lutter contre les changements globaux et pour favoriser le développement durable. Il est primordial d'une part de valoriser ces milieux et de les restaurer et d'autre part de consommer et d'utiliser ces ressources de façon rationnelle.
Pour ce faire, une bonne compréhension de ces milieux est indispensable pour agir efficacement et pour gérer ainsi durablement ces ressources. Cela requiert notamment de renforcer la connaissance. En effet, il est essentiel de pouvoir faire l'inventaire national et international des zones humides et plus particulièrement d'évaluer leur état de santé ainsi que les impacts des changements globaux, régionaux et locaux sur ces milieux naturels, des informations nécessaires pour mettre en place des mesures de protection, de préservation voire de restauration. Cela demande de renforcer les dispositifs d'information pour permettre la prise de décision. De nouveaux outils d'acquisition de données tels que les mesures satellites se développent et peuvent venir en soutien des données de terrain notamment lorsqu'elles manquent dans certaines régions du monde.
6. Les satellites en support pour suivre, contrôler et préserver les zones humides
Grâce au développement du spatial depuis les années 60 et plus particulièrement des technologies d’observations associées, les observations de la Terre par satellites permettent de suivre quasiment en temps réel les phénomènes naturels et anthropiques en différents lieux de la planète et à différents instants. Les données satellitaires permettent de compléter, de reconstruire et de densifier les jeux de données in situ existants et d’en extraire via des modèles et outils de traitement et d’analyse des paramètres physico-chimiques et biologiques du milieu, utiles à la prise de décision. De plus, les données satellitaires permettent d’atteindre des zones où les données de terrain sont inexistantes et à moindre coût que des instrumentations in situ.
Parmi les applications possibles, les observations de la Terre par satellites, complétées oar des données in situ et des modèles peuvent contribuer au suivi des ressources en eau et des milieux aquatiques permettant ainsi de faciliter leur gestion depuis l’échelle locale (l’échelle d’un bassin versant) à l’échelle régionale voire au-delà des frontières (l’échelle du bassin hydrologique par exemple). Zoom sur 2 applications.
6.1 Occupation du sol
Un point de départ dans la protection et la restauration des zones humides est une bonne cartographie des milieux pour faire un inventaire. Pour cela, les images satellites (Figure 3) acquises par des imageurs optiques ou radar sont utilisées en premier ordre pour cartographier et délimiter l'étendue des différents milieux naturels présents. Les séries temporelles quant à elles permettent de déterminer leur occurrence dans le temps (permanent versus temporaire/saisonnière) (Figure 4).
Figure 3 : Les zones humides en Ouganda vues depuis l'espace - carte montrant les différentes zones humides dans le pays superposée à des images GoogleEarth. En bleu sont localisées les étendues d'eau permanentes (bleu foncé) et temporaires (bleu clair) tandis qu'en vert sont répertoriées et distinguées les zones humides qui sont présentes de façon permanentes (vert foncé) ou saisonnières (vert clair). Cette carte utilise à la fois des données optiques et radar des missions Sentinel-1 et Sentinel 2 du programme européen Copernicus ainsi que des données issues de la mission américaine Landsat (©contains modified Copernicus Sentinel data (2016-17), ESA GlobWetland Africa, Global Partnership for Sustainable Development Data, GeoVille Information Systems)[12]
Figure 4 : Zoom sur le Lac George, Ouganda, vu depuis l'espace - Image du satellite Sentinel 2 du lac George de 250 km2 avec autour de ce dernier une zone humide dense visible en vert vif sur l'image. L'eau du lac apparaît verte, un résultat lié à une concentration importante d'algues causée par la pollution des eaux provoquée par des activités humaines (mines, agriculture) (©contains modified Copernicus Sentinel data (2018), processed by ESA, CC BY-SA 3.0 IGO)
Dans un second ordre, ces données sont analysées par photo-interprétation et traitement et permettent de déterminer le type de végétation (prairie, région boisée, terre cultivée, etc.) et la nature du milieu (marais, zones humides, lacs, cours d'eau, etc.) à partir des informations liées à sa couleur, sa texture et sa forme et sa réponse spectrale (Figure 5). Ces images couplées à des données de terrain permettent également de localiser les aménagements du territoire (infrastructures de génie civil, cultures agricoles, bâtiments urbains, etc.) et ainsi d'évaluer les impacts des activités anthropiques (urbanisation, agriculture, etc.) sur ces écosystèmes. Ces données permettent également de contrôler toute intrusion ou encore de détecter toute dégradation des zones protégées (Figure 5).
Figure 5 : Zoom sur le Lac George, Ouganda, vu depuis l'espace - Carte détaillée présentant les différents habitats au nord du Lac George. La région en rouge correspond à la ville de Kasese. On constate que des terres cultivées dans la bordure nord du parc, correspondant à intrusion dans la zone protégée du site enregistré sur la liste Ramsar avec un risque de dommages sur les milieux humides (©contains modified Copernicus Sentinel data (2019), processed by ESA GlobWetland Africa, ITC/DHI GRAS)[12].
6.2 Qualité de l'eau
La qualité des eaux continentales incluant celles des zones humides est un paramètre déterminant à connaître, car une eau « propre » conditionne la santé des humains ainsi que celle de l’environnement. Ainsi, garantir une eau de qualité devient un enjeu pour un large nombre d’acteurs des territoires (gestionnaires, collectivités locales, entreprises, etc.) dans le but d’une part d’adapter les pratiques afin de respecter les normes de protection de la ressource et d’assurer la durabilité des ressources en eau nécessaires à la prospérité des communautés locales et des activités économiques et d’autre part, si une contamination est avérée de la suivre et de localiser les zones touchées afin de mettre en place des campagnes de nettoyage voire de restauration.
La qualité de l’eau est généralement caractérisée par les propriétés physico-chimiques et la concentration biologique de l’eau qui varient spatialement et temporellement et ces dernières permettent d’évaluer l’état des eaux.
Depuis l'espace, l'une des techniques spatiales couramment employées est basée sur la mesure du rayonnement solaire renvoyé par la surface dans la gamme du visible et proche-infrarouge (entre 400 et 900 nanomètres). En effet, les organismes, sédiments, etc. qui composent ces eaux absorbent une partie du rayonnement solaire reçu et le reste est renvoyé vers l’espace. Chacun des matériaux a une réponse qui lui est propre et définit sa signature spectrale. Il existe un certain nombre d’indicateurs de la qualité de l’eau qui peuvent ainsi être mesurés, c’est ce que l’on nomme les paramètres de la qualité optique de l’eau.
Parmi eux, on compte la chlorophylle-a qui est un indicateur de la biomasse du phytoplancton, de l’état trophique et nutritionnel des eaux (Figure 6) et la cyanophycocyanine et cyanophycoérythrine qui sont des indicateurs de la biomasse cyanobactérienne commune dans les blooms algaux nocifs et toxiques. L’estimation de ces indicateurs et la combinaison de ces informations permettent d’obtenir des informations cruciales pour déterminer et suivre la qualité de l’eau et plus particulièrement pour évaluer l’état d’eutrophisation et le bon écoulement des eaux.
Ces différents indicateurs sont classiquement mesurables à partir de capteurs passifs mesurant le rayonnement dans le visible et le proche infrarouge, nommés spectromètres. Couplées à l’imagerie, des cartes de la qualité optique de l’eau peuvent être dressées (Figure 6). Parmi les missions en cours, on compte les missions Landsat 7 (instrument ETM+) et Landsat 8 (instrument OLI) de la NASA et de l’USGS ou encore les missions Sentinel 2 (instrument MSI) du programme européen Copernicus avec des résolutions spatiales adaptées pour l’analyse des eaux de surface continentales.
Figure 6 : Carte de concentration relative de la chlorophylle-a du lac Sainte-Lucie au sein du parc de la zone humide d'iSimangaliso en Afrique du Sud, vu depuis l'espace. La couleur représente la concentration relative : de concentration faible en bleu foncé à concentration élevée en rouge (©GlobWetland).
Références :
[1] La Convention de Ramsar : qu’est-ce que c’est ?, fiche technique 6, le Secrétariat de la Convention de Ramsar, 2015, disponible ici
[2] Fonctions et valeurs des zones humides méditerranéennes, J. Skinner & S. Zalewski, MedWet, 1995, disponible ici
[3] Ramsar Sites Information Service, disponible ici.
[4] Information tirée sur le site internet www.zones-humides.org, centre de ressource des zones humides disponible ici
[5] Le 2 février de chaque année, la planète entière célèbre les terres humides, LPO, Communiqué de presse, 17 janvier 2017, disponible ici
[6] Wetlands – world’s most valuable ecosystem – disappearing three times faster than forests, warns new report, Ramsar, Communiqué de presse, 27 septembre 2018, disponible ici
[7] Les îlots de fraîcheur dans la ville, Les notes de l’ADeUS, ADeUS, 2014, disponible ici
[8] Journée mondiale des zones humides 2020, Ramsar, infographie, disponible ici
[9] Le dangereux déclin de la nature : Un taux d’extinction des espèces « sans précédent » et qui s’accélère, IPBES, Communiqué de presse, mai 2019, disponible ici
[10] Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, IPBES, 2019, version française disponible ici
[11] Les zones humides, rapport de l'instance d'évaluation, 1994, disponible ici
[12] Données et cartes issus du projet GlobWetland Africa, un projet financé par l'Agence spatiale européenne (ESA) en partenariat avec l'équipe africaine de la Convention Ramsar sur les zones humides, voir ici.
En complément :
Retrouvez le CNES lors du Congrès mondial sur la Nature de l'IUCN pour découvrir les applications spatiales pour la biodiversité, voir le programme ici
Agenda du Congrès mondial sur la Nature de l'IUCN, voir ici
Activités de l'IUCN, voir ici
Activités du comité français de l'UICN, voir ici
Carte des zones humides d'intérêt mondial en France, voir ici
À propos de l’auteur :
Jennifer Fernando est conseillère en stratégie environnementale basée sur l'utilisation des données de l'observation de la Terre par satellites. Elle accompagne les acteurs des territoires (établissements publics, collectivités, entreprises, ONG/associations/fondations, citoyens) qui souhaitent utiliser les données et images satellites dans le but de faciliter l'évaluation, la gestion et le suivi des ressources naturelles (eau, forêt, sol, air, écosystèmes, biodiversité) et des changements globaux (pollution, pénurie, dérèglement climatique). Elle accompagne également les acteurs de la communauté du spatial (start-ups, PME, ETI, agences spatiales) qui développent des missions spatiales et/ou exploitent les images et données satellites et qui souhaitent développer des applications au plus proche des besoins des utilisateurs finaux et les valoriser auprès d'eux.
Contact : jfernando.consulting@gmail.com
Site internet : https://www.jennifer-fernando.com
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