Introduction
Plus de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable[1]. C’est probablement un des problèmes majeurs de notre siècle. Plusieurs causes peuvent rendre la ressource difficilement disponible et/ou accessible : la variabilité pluviométrique, le climat local, les catastrophes naturelles, une mauvaise gestion de la ressource, la pollution, la répartition de la population, etc. avec des conséquences néfastes sur la santé des populations et le fonctionnement de la société (ex. émergence de conflits d’usages).
À cela viennent s’ajouter, l’urbanisation, la croissance démographique, le dérèglement climatique qui exacerbent le stress hydrique aggravant ainsi les tensions locales sur les ressources en eau et compliquant d’autant plus l’accès à l’eau de tous. Ainsi, les quatre principaux enjeux auxquels la communauté internationale est confrontée aujourd’hui sont : les tensions croissantes sur les ressources en eau, l’accès des populations à l’eau potable, la maîtrise des pollutions de l’eau et la gestion des catastrophes hydrométéorologiques. Cela requiert ainsi une volonté politique forte d’adopter des modèles de gouvernance et d’organisation institutionnelle adaptés aux contraintes socio-économiques et environnementales de chaque pays pour ainsi voir une amélioration nette des conditions de santé et de sécurité des populations[2].
Adopté en 2015 par les États membres des Nations unies pour « transformer notre monde »[3], par son caractère universel, intégré et inclusif, l’Agenda 2030 avec ses 17 Objectifs de développement durable (ODD)[4] offre à tous les acteurs, qu’ils soient acteurs du secteur privé ou public, États ou citoyens du monde, un cadre et une vision pour faire face aux divers maux du XXIe siècle tels que la pauvreté, la famine, les risques sanitaires, la déscolarisation, l’inégalité entre les sexes, le recul de la biodiversité ou encore le réchauffement climatique. Cet Agenda permet également de bâtir de façon cohérente et efficace à court terme le monde de demain, un monde plus juste, plus durable et plus respectueux de l’environnement. Son succès le sera si seulement si les promesses faites par les États membres des Nations unies pour atteindre les ODD d’ici 2030 sont tenues et transformées en actions concrètes.
Parmi les 17 ODD, un est dédié à l’eau potable et à l’assainissement (ODD 6) avec des cibles précises et chiffrées à atteindre d’ici 2030 avec pour objectif de garantir l’accès de tous à l’eau potable et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau couvrant les grands défis de l’eau. Malgré des progrès, le monde n’est pas sur la bonne trajectoire pour atteindre les cibles de l’ODD 6 d’ici 2030[5].
Aujourd’hui s’ouvre la Conférence des Nations unies sur l’eau. La dernière conférence de l’ONU sur les enjeux de l’eau douce remonte à 1977. Vont participer à cet événement un grand nombre d’acteurs tels que les gouvernements, les organismes des Nations unies, organisations intergouvernementales, institutions financières internationales, les organisations non-gouvernementales, les organisations de la société civile, la communauté scientifique, les entreprises et d’autres. Cette conférence est une occasion historique, à mi-chemin de l’Agenda 2030, de mettre en avant l’absolue nécessité de faire évoluer la gouvernance mondiale de l’eau et d’accélérer nos efforts pour combler le retard noté dans la mise en œuvre de l’ODD 6.
Gestion intégrée des ressources en eau et la nécessité de collecter et partager l’information sur l’eau
Communément adoptée à l’international, la Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) est le modèle à privilégier pour assurer une gestion responsable de l'eau. En effet, ce modèle contribue à coordonner le développement durable et la gestion pérenne des ressources en eau pour tous les utilisateurs qu’ils soient résidents en zones urbaines ou rurales, agriculteurs, industriels ou milieux naturels. La GIRE constitue d’ailleurs une des cibles de l’Objectif 6 de l’Agenda 2030 (cible 6.5). Elle est mesurée par l’intermédiaire de deux indicateurs, dont celui du degré de mise en œuvre de la gestion intégrée des ressources en eau (0-100) (indicateur ODD 6.5.1). Selon un rapport de l’Organisation des Nations unies faisant l’état des progrès en matière de gestion intégrée des ressources en eau en 2018, encore trop peu de pays ont atteint l’objectif mondial visant à accéder à un niveau de mise en œuvre « très élevé » (Figure 1, données actualisées). À ce jour, seuls quelques pays ont atteint cette cible.
Figure 1 : État d’avancement dans l’objectif mondial visant à atteindre un niveau de mise en œuvre « très élevé » d’une gestion intégrée des ressources en eau au niveau national (données de 2017 et de 2020)[6] (©ONU).
Or, pour mettre en place une gestion intégrée et concertée des ressources en eau, l’accès aisé aux informations sur l’état et l’évolution des ressources en eau et ses usages est une des clés de réussite. Les gestionnaires des ressources en eau doivent en effet pouvoir disposer d’informations fiables, actualisées et pertinentes pour leurs activités qu’elles soient liées à la réglementation, à la planification ou encore à l’adaptation aux dérèglements climatiques, mais aussi à la gestion des risques hydrométéorologiques.
C’est d’autant plus vrai lorsque les bassins fluviaux sont partagés par différents pays (on parle de bassins transfrontaliers. On en compte 263 dans le monde (59 en Afrique, 57 en Asie, 69 en Europe, 40 en Amérique du Nord et 38 en Amérique Latine[7]) qui couvrent près de la moitié de la surface des terres émergées. De plus, 145 États ont des terres qui font partie de bassins fluviaux internationaux et 21 y sont situés intégralement[8]. La gestion d’un bassin transfrontalier pose ainsi des problèmes particuliers. En effet, la gestion des eaux partagées entre divers pays doit tenir compte des politiques, cultures, niveaux de développement et dispositifs de collecte d’information sur l’eau des différents pays riverains.
La surveillance in situ (stations météorologiques, limnimètres, débitmètres, prélèvements pour analyse en laboratoires, etc.) est généralement le principal moyen exploité. Malgré que les données in situ offrent des mesures de qualité et standardisées, il existe un certain nombre d’inconvénients bien connus qui peuvent limiter leur déploiement tels que le coût d’exploitation et de maintenance notamment dans des régions peu accessibles, le manque de capacité technique et humaine qualifiée, ou encore la faible représentativité géographique lorsqu’il faut couvrir de larges régions (ex., bassins versants, bassins hydrographiques). On constate ainsi une tendance persistante et généralisée du déclin du réseau de mesures hydrologiques de terrain. Les contraintes budgétaires généralisées au niveau national associées à des instabilités politique et institutionnelle à tous les niveaux sont généralement citées comme la cause. Pourtant, ce problème n’est pas propre aux pays en développement. En effet, les pays développés sont également confrontés à ces enjeux (WMO, 2008). De plus, les données et informations existantes sont généralement fragmentées, incomplètes/dispersées et hétérogènes et leur accès est souvent complexe (ex., multiplicité des acteurs producteurs de données, incohérence dans les données et les informations produites) et par conséquent, utilisées de façon inefficace et sous-exploitées.
Par ailleurs, l’accès aux données et informations nécessaires sur un bassin hydrographique est souvent difficile pour des raisons techniques liées à la collecte des informations, à l’harmonisation des formats de données, aux définitions, aux méthodes d’analyses, à la fréquence de collecte des données, à la densité des réseaux de surveillance et au traitement des données (INBO & UNESCO, 2018).
Or, les décisions en matière de politique, de planification et de gestion des ressources en eau basées sur des données partielles et imprécises peuvent conduire à des impacts socio-économiques et environnementaux néfastes et importants. Cependant, le comblement des lacunes en matière de collecte de données de qualité et de partage pourrait éviter ces situations (INBO & UNESCO, 2018).
L'observation de la Terre par satellites comme outil d'aide pour compléter l'information sur l'eau et assister à la gestion de la ressource
Grâce au développement du secteur spatial depuis les années 60, l’observation de la Terre par satellites constitue un allié clé pour compléter l’information hydrologique issue des mesures de terrain. En effet, par le caractère synoptique des données satellites (ex., résolution spatiale, grande fréquence de revisite), les données satellitaires permettent de compléter, de reconstruire et de densifier les jeux de données in situ existantes et d’en extraire via des modèles et outils de traitement et d’analyse des paramètres physico-chimiques et biologiques du milieu, utiles à la prise de décision.
Parmi les données satellites existantes, on compte l’hydrologie spatiale qui offre de nouvelles perspectives dans le suivi qualitatif et quantitatif des ressources en eau et des milieux aquatiques. Il y a notamment l’altimétrie spatiale qui permet d’obtenir des informations sur les niveaux des lacs et rivières ainsi que leur débit et cela en différents points sur la planète. Il y a également l’imagerie optique et radar qui permet d’une part de cartographier l’occupation du sol et plus particulièrement d’identifier et de mesurer les surfaces en eau (ex., cours d’eau, plans d’eau, plaines d’inondation, zones humides), enneigée et glacée et d’identifier toute modification et variation dans le temps et l’espace et d’autre part de dériver des informations clés sur la qualité des eaux, nécessaires à l’évaluation de l’état de santé des écosystèmes aquatiques.
Ainsi, une large gamme de variables hydrométéorologiques telles que l’étendue, le niveau et le débit des eaux, les variations de niveau des nappes souterraines, l’humidité du sol, les précipitations, l’évapotranspiration, la qualité de l’eau, nécessaire à l’évaluation et au suivi de l’état de santé d’un point de vue quantitatif et qualitatif des ressources en eau et des milieux aquatiques peut être estimée.
Complémentaire aux données hydrologiques de terrain, les données satellitaires permettent de s’affranchir des frontières géopolitiques et par conséquent, d’apporter des données sur l’eau à l’échelle d’un bassin versant facilitant la collecte de connaissances en matière des ressources en eau à des échelles de gestion adaptée pour tenir compte des conditions environnementales et climatiques du milieu et ainsi que de l’ensemble des acteurs et des écosystèmes intervenant dans le prélèvement et l’utilisation de la ressource. Elles permettent également de contourner de potentielles difficultés dans la mise en place de dispositifs de mesures in situ.
Les données satellites permettent ainsi de combler et d’enrichir la base de données hydrologiques de terrain contribuant ainsi à l’amélioration de services existants voire l’émergence de nouveaux outils d’aide pour faciliter le travail des acteurs compétents dans la connaissance du cycle de l’eau, la définition des politiques, la planification et la gestion des ressources en eau et des catastrophes hydrométéorologiques (Figure 2). Voici ci-après quelques exemples :
Gestion du partage des eaux et gestion des conflits (international, interrégionale) : une meilleure connaissance et compréhension commune à l’échelle d’un bassin hydrographique à partir de données homogènes sur la zone explorée
* du stock en eau en évaluant en particulier l’état physique des eaux de surface telles que l’enneigement des massifs montagneux et le suivi de la fonte des neiges et le niveau des cours d’eau, rivières et fleuves et des plans d’eau ainsi que celui des eaux souterraines (uniquement pour de larges nappes)
* des prélèvements en eau effectués de l’amont à l’aval en évaluant en particulier le niveau et débit des cours d’eau, rivières et fleuves et le niveau des plans d’eau et les variations du niveau des nappes
Gestion de l’eau pour la consommation urbaine, industrielle, agricole : une meilleure connaissance commune et surveillance partagée à l’échelle d’un bassin hydrographique à partir de données homogènes sur la zone explorée
* des quantités d’eau disponibles et potentiellement mobilisables des eaux de surface au niveau régional, voire local en faisant l’inventaire et l’évaluation de l’état physique (niveau et étendue) et écologique (qualité) des plans d’eau (artificiel et naturel) et des cours d’eau, rivières et fleuves, dans le but de mieux répartir la ressource entre les différents usagers et gérer les périodes de tension (ex. étiage, cru). Par exemple, au niveau des barrages hydrauliques, les données satellites en particulier altimétriques peuvent contribuer au suivi des recharges et décharges et au développement de modèles prévisionnels du remplissage de ces réservoirs afin de venir en aide à la gestion de la ressource en période de tension
* des pratiques en matière de prélèvements et d’utilisations de l’eau par secteur (industriel, agricole, domestique) telles que l’eau pour l’irrigation via l’estimation des surfaces irriguées par type de cultures, de l’état du sol (humidité) et de la végétation et du régime des prélèvements (date de début, pic et fin de campagnes d’irrigation) pour faciliter la transformation durable du secteur vers une utilisation plus sobre de la ressource en fonction des besoins des cultures.
Gestion des inondations : une meilleure connaissance commune et surveillance partagée à l’échelle d’un bassin hydrographique à partir de données homogènes sur la zone explorée
* des risques via la modélisation des crues et des inondations pour de meilleures prévisions et une meilleure gestion du risque par les autorités compétentes et les assureurs (aménagement du territoire, primes d’assurance) à partir de l’historique de mesures du niveau et de l’étendue d’eau des rivières en identifiant le niveau d’exposition (ex., cartographie des zones potentiellement inondables en fonction du taux de précipitations)
* des précipitations, de la montée et la descente ainsi que l’étendue des eaux en périodes de crues et de décrues afin d’avertir les habitants et les acteurs de terrain en cas de menaces imminentes dans le but de sécuriser les populations et d’adapter les productions (mise à l’arrêt) et des zones inondées afin d’appuyer les interventions lors de la crise
* des dommages afin d’aider la reconstruction
Figure 2 : Exemples d’applications satellitaires pour la gestion intégrée des ressources en eau permettant d’avoir une vision globale du grand et petit cycle de l’eau
RÉFÉRENCES : [1] ONU, L’accès à l’eau potable : plus de 2 milliards de personnes toujours privées de ce droit fondamental (ONU), 19 mars 2019, disponible ici. [2] Gérard Payen, Eau : défis mondiaux, perspectives françaises, 21 février 2011, fondapol, disponible ici. [3] Nations Unies, Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 25 septembre 2015, 2015, disponible ici. [4] En savoir plus sur l’Agenda 2030 et ses 17 Objectifs de développement durable, voir ici. [5] UN-Water, SDG 6 Progress Reports, 2021, disponible ici. [6] UN-Water, Maps, SDG 6 Data, disponible ici [7] Manuel de Gestion intégrée des ressources en eau par bassin, GWP et RIOB, 2019, disponible ici [8] Source disponible ici
À propos de l’auteur : Jennifer Fernando est conseillère en stratégie environnementale basée sur l'utilisation des données de l'observation de la Terre par satellites. Elle accompagne les acteurs des territoires (établissements publics, collectivités, entreprises, ONG/associations/fondations, citoyens) qui souhaitent utiliser les données et images satellites dans le but de faciliter l'évaluation, la gestion et le suivi des ressources naturelles (eau, forêt, sol, air, écosystèmes, biodiversité) et des changements globaux (pollution, pénurie, dérèglement climatique). Elle accompagne également les acteurs de la communauté du spatial (start-ups, PME, ETI, agences spatiales) qui développent des missions spatiales et/ou exploitent les images et données satellites et qui souhaitent développer des applications au plus proche des besoins des utilisateurs finaux et les valoriser auprès d'eux. Contact : contact@jennifer-fernando.com
Comments